Devine qui vient prier ce soir ?

 

 

Frédéric Lenoir et Jennifer Kouassi © Thomas Laisné
Frédéric Lenoir et Jennifer Kouassi © Thomas Laisné

 

Grandes messes TV de la bouffe, goût de Mahomet et Jésus pour le vin, expériences sexuelles hors normes et chute de l’Empire romain… Frédéric Lenoir est un philosophe des religions qui publie son «Petit traité de vie intérieure» (Plon). Le point sur la spiritualité du fromage et des jolies filles en direct de son salon.

Frédéric Lenoir, les émissions culinaires ressemblent à des messes télévisées,  les chefs sont vénérés comme des demi-dieux… Cette folie de la bouffe, c’est une religion ?

L’étymologie du mot religion, c’est religare. Ça veut dire relier. Mais on pourrait aussi bien traduire religion par communion. Et la fonction de la religion, c’est de créer des communions humaines par rapport à quelque chose de commun qui nous dépasse. Habituellement, ce qui nous rassemble est quelque chose d’invisible. Or, on vit dans un monde qui croit de moins en moins à l’invisible, ce qui est le propre de la modernité. Mais on a toujours besoin de communier, de partager des choses dans une ferveur émotionnelle. S’offrent alors à nous plusieurs options : le sport, les concerts, et la bouffe. Comme la bouffe est celle qui nous rassemble le plus, parce que tout le monde aime bouffer, on vit cette troisième option comme un rituel. La bouffe est un rituel de communion qui devient de plus en plus un rituel de substitution à ce qui était autrefois un partage avec l’invisible.

On n’est pas plutôt sensé se nourrir de la parole de Dieu, plutôt que de Sauternes et de foie gras ?

De nombreuses religions ont accordé une très grande place au plaisir dans l’alimentation, notamment les trois monothéismes, alors que le bouddhisme est bien plus mesuré là-dessus. Il y a cette idée que Dieu est bon et que le monde est bon, donc la nourriture donnée par Dieu à l’homme aussi. Et il faut qu’il en profite, qu’il en jouisse. Les institutions religieuses sont là pour donner des limites, mais le plaisir de la bouche n’est pas condamné. C’est pour ça qu’on retrouve tout le temps dans la Bible des festins extraordinaires et que dans les Evangiles Jésus passe son temps  à manger. A tel point que certains extrémistes religieux de l’époque traitaient même Jésus d’ivrogne et de glouton. Jésus aimait la bonne bouffe, il appréciait bien manger et bien boire. Et c’est une tradition qui demeurera dans le christianisme. On retrouvera ça aussi dans la vie monastique où boire du vin fait partie de la retraite spirituelle.

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Entretien: Laure Michel