« Kaamelott, c’est pas la France des poulardes… »

 

Alexandre Astier
Alexandre Astier © Seb & Enz

 

Un an après la fin de sa saga à la télé, respecté par le métier, adulé par ses fans, Alexandre Astier ressemble à l’Alexandre bienheureux du film d’Yves Robert : des projets en pagaille et des jambonneaux plein la tête.

«Je voulais rappeler quel acteur monumental était Alain Delon. Et puis, il m’a niqué ! Mais il a eu tort…»

_ Alexandre Astier, l’histoire de Kaamelott est-elle un modèle de piratage industriel ? Celle d’un format court de type apéritif, qui échappe au radar de M6. Pour finir par un « antépisode »* de dingue tourné à Cinecitta, et bientôt une trilogie cinéma…

_ Ah, ah ! C’est marrant, ouais. Même si c’est un peu dommage de l’avouer, parce que ça veut dire que je ne pourrai plus le faire. S’ils sont au courant, les mecs vont tous se dire : « Ah, non, il nous enculera pas deux fois ! » Bon, après, faut relativiser : mon piratage, c’est un piratage gentil, je n’ai pas piqué dans la caisse, j’ai travaillé. Et il a rapporté beaucoup de sous à beaucoup de gens, ce piratage…

_ La télé, c’est un art de contrebandier ?

_ Disons que c’est très triste de penser à tout ce que j’ai du contourner pour en arriver là. C’est la démonstration qu’il n’y a pas de recette, que cette ultra surveillance exercée par le système sur les histoires et les gens qui les racontent, cette rationalisation de la cible, cette intrusion du marketing dans les choix éditoriaux, tout ça ne marche pas. Sinon, il n’y aurait jamais de mauvaises séries. Or, les placards des chaînes regorgent de séries tournées, montées, mixées, étalonnées… Et qu’on ne montre pas, tellement elles sont nazes ! Et pourtant, tout a été étudié : « à qui ça s’adresse ? », « quelle est la cible ? », « les gens vont-ils s’identifier ? », etc… Et au final, c’est de la merde. On sait que la recette ne marche pas. Donc, on devrait s’en passer ou en trouver une autre. Mais non, rien ne bouge.

_ Le public de « Kaamelott », c’est pourtant une fan-base à la Goscinny : « de 7 à 77 ans ». On a l’impression que c’est l’idéal de tous les gens de télé. Mais que personne ne sait comment l’atteindre…

_ Il y a une légende qui circule et qui dit que pour parler à tout le monde, il ne faut parler de rien. Ne jamais être spécifique. La télé est comme ça. « On ne peut pas faire une série qui se passe dans une ferme, il n’y a pas assez de fermiers qui regardent la télé ». C’est d’une connerie extrêmement grave. On sait pourtant depuis Aristote que l’identification avec un héros n’a rien à voir avec le fait de lui ressembler. On s’identifie à un héros parce qu’on partage avec lui quelque chose qui relie tous les êtres humains. C’est le conflit : je ne peux pas m’identifier à Tony Soprano, puisque je ne suis pas mafieux, je n’ai pas de cadavre dans le coffre de ma bagnole et mon meilleur ami n’a pas tabassé une pute devant moi. Et pourtant, ce cadavre dans le coffre de Tony fait que Tony est dans la merde. Et en plus, il voit un psy. Donc, ce type est mon cousin. Il faudrait ressembler à Monsieur-tout-le-monde pour parler à Monsieur-tout-le-monde ? Mais monsieur-tout-le-monde, il n’en a rien à foutre qu’on lui parle de lui ! Au contraire. De toute façon, discuter de Goscinny avec des gens qui analysent des cibles, c’est pas possible. Ça ne marche pas.

_ Pourquoi le pays de Gérard Oury et Louis de Funès peine autant à faire de bonnes comédies ?

_ Il y a un truc bizarre aujourd’hui en France : la comédie n’a plus le droit de traiter d’un sujet. La comédie ronge l’histoire qu’elle raconte et se résume à montrer trois mecs qui font les glands devant la caméra. On s’interdit tout : «  Il ne peut pas y avoir de mort dans une comédie, il ne peut pas y avoir de truc triste ». C’est devenu une sorte de spectacle à vide dont les gens sortent en disant des phrases comme « J’ai passé un très bon moment ». Du coup, les films ne sont plus essentiels, juste anecdotiques. Ça fait des entrées, tout le monde est content. Mais ça, ce n’est pas ma comédie à moi. Il faut d’urgence qu’on remette la comédie dans un écrin comme les Anglais, qu’on raconte des histoires. Shaun of the Dead, c’est une comédie mais aussi un super film de zombie. Quand je vois les films de Simon Pegg (le scénariste et rôle principal de Shaun of the Dead, ndlr), je ne vois pas des rigolos à l’écran, je vois surtout des acteurs.

_ En 2009, vous deviez réaliser votre premier film : Monsieur Karlsson avec Alain Delon. Et puis Delon s’est retiré du projet à la dernière minute…

_ En fait, c’est plus subtil que ça. Il ne s’est pas retiré. Quatorze jours avant le tournage, Delon m’a dit : « Soit tu joues, soit tu réalises, mais pas les deux »…

_ Qu’est ce qui lui a pris ?

_ Je ne sais pas vraiment parce qu’il ne me l’a pas dit et qu’on ne s’est plus parlé depuis. Je pense qu’il aimait mon script, mais qu’il voulait le faire avec quelqu’un d’autre. Et à la fin, il a tenté un truc pour me dégommer du film. Mais j’ai dit non, je n’ai pas cédé. Et il s’est rendu compte que le cinéma avait changé. A une époque, Delon disait « Je veux ce script, mais pas ce mec-là », tout le monde s’inclinait. Sauf que maintenant, non. C’est fini, ça. Déjà, c’est interdit, c’est mon texte, j’en suis l’auteur, je ne vois pourquoi j’en serai dépossédé. Et puis j’avais écrit le film pour lui, je ne m’étais pas foutu de sa gueule. Il l’a lu, m’a dit « Je le fais ». Bah, chapeau, j’étais content. Puis il s’est barré, et j’ai pris un sacré coup dans les gencives.

_ Delon, c’est quelqu’un que vous admirez ?

_ Bah, je n’admirais pas le mec, je ne le connaissais pas avant. Mais l’acteur, j’en suis amoureux. En plus, je voulais lui écrire quelque chose qui l’emmène ailleurs, vous voyez le genre. Parce que Delon, pour les mecs de moins de trente piges, c’est juste un gars qu’on voit à la télé. Il y a plein de jeunes mecs qui n’ont jamais vu un film avec Delon. Je lui avais écrit un rôle à contre-emploi, il devait jouer un vieux, un mec faible, fragilisé, malade… Il en avait envie.

_ Pourquoi écrire pour une star qui se prend pour un demi-dieu ? C’est parce que vous ne faîtes que de la TV…

_ Non, pas du tout. Sur Kaamelott, j’ai déjà eu plein de guest prestigieux. Et on me disait souvent : « Ne le prends pas lui, il est chiant, il va te pourrir la vie ». Les mecs débarquaient et ils n’étaient pas chiants du tout ! Les stars qui venaient sur Kaamelott, même les super connus, on les payait au lance-pierre. On leur donnait le texte cinq minutes avant de jouer. Et quand ils partaient, ils disaient tous : « Je reviens quand tu veux. » Donc moi, je défendais ma chapelle en disant : « Vous les trouvez chiants ? Mais c’est parce que vous les prenez pour des cons, que vous leur donnez des textes de merde qu’ils peuvent à peine prononcer, tout ça pour satisfaire la ménagère. » Mondy, par exemple. Les Cordier, juge et flic, sérieux, c’est une insulte. C’est un grand acteur Mondy, il est magnifique. Et vous le filmez comme un pépé dans un machin familial de merde ? Ceux qui font ça ont beau toucher des millions de spectateurs, ce sont des cons. Moi j’ai pris Mondy pour le montrer tel qu’il est : un trésor national.

_ Et vous vouliez faire la même chose avec Delon ?

Exactement. Delon, il est supposément de droite, il parle supposément de lui à la troisième personne. Et bien, tous ceux qui disent ça, je vais leur mettre une tarte. C’est agressif de ma part, j’ai toujours envie de défendre les acteurs. Et j’avais envie de défendre Delon contre ceux qui l’attaquent. Je voulais rappeler l’acteur monumental que c’est. Et… il m’a niqué. Bon, il a eu tort. Parce que ça aurait été mortel.

_ Depuis, Monsieur Karlsson est devenu Madame Karlsson. Et Adjani a repris le rôle de Delon. Quelle différence ?

_ La différence, c’est qu’ Adjani , elle a encore très envie de jouer. Elle aime ça. Delon, lui, dit qu’il a tout vu, tout fait, et c’est vrai. Je crois qu’aujourd’hui il n’aime plus jouer, mais seulement être dans le circuit, être convoité, courtisé. Il s’est barré de chez Olivier Marchal (Braquo, Les Lyonnais, etc) , il s’est barré de chez Johnnie To (l’un des plus grand producteurs de Hong-Kong, ndlr)… Tout ça pour aller faire un téléfilm sur TF1, dont on ne m’a pas dit le plus grand bien. Avec Isabelle, ça se passe très bien. On tourne dès les premiers beaux jours. Ça fritera peut-être entre nous, pour une raison ou pour une autre. Mais pour l’instant, je suis très confiant. D’ailleurs, bizarrement, ce truc avec Delon ne me fera pas changer d’avis. Si on me dit : « Le prends pas, il est chiant ». Et bien, je le prendrai quand même.

_ Pourquoi avoir repoussé le tournage de la trilogie Kaamelott pour le cinéma ? Alors que vos fans attendent ça comme des fous

_ J’avais envie d’arriver au grand écran avec un truc qui ne soit pas une comédie, quelque chose de contemporain, avec aucun autre acteur de Kaamelott que moi. On n’arrête pas de me dire : « Il faut faire Kaamelott maintenant, battre le fer tant qu’il est chaud. » Mais non, ça m’intéresse pas de courir après Kaamelott. C’est moi qui décide quand c’est le moment. Mais de toute façon, j’ai toute l’histoire en tête. Et le projet est dans les tuyaux.

_ Pourquoi les acteurs passent-ils leurs temps à bouffer dans la série Kaamelott ?

_ Mais parce que la bouffe, c’est une béquille géniale pour la comédie. J’adore ça. Ça oblige l’acteur à être détaché de ce qu’il dit, à faire passer le texte au second plan, à se concentrer sur quelque chose de très trivial, de très concret, de très quotidien. Sa première préoccupation, c’est bouffer, et ensuite seulement vient le texte. Ça aide beaucoup, la bouffe. Ça peut même rendre le jeu plus élégant. D’ailleurs, Brad Pitt fait ça tout le temps. Regardez bien, il est toujours en train de mâcher quelque chose.

_ Qu’est ce vous mangez dans Kaamelott ? Des pintades médiévales ? Ou du fromage de tête de sanglier ?

_ Je dois vous avouer que ce qu’on bouffe dans la série n’a pas vraiment été étudié. En gros, c’est censé être de la volaille. On a quand même évité les anachronismes : il n’y a pas de patates par exemple, parce que ce n’est pas d’époque. L’essentiel pour nous sur le plateau, c’est surtout de mettre dans l’assiette des trucs qu’on sait qu’on peut avaler à chaque prise. Au cas où le tournage d’une scène de repas s’éternise… Les choux, par exemple, vous pouvez en bouffer tant que vous voulez. En fait, on a surtout mangé beaucoup d’endives. C’est très pratique, les endives : ça craque, ça fait du bruit, ça remplit la bouche. Et comme c’est de l’eau, on peut en bouffer tant qu’on veut. Bon, après, par contre, on passe sa journée aux chiottes…  Sinon, de temps en temps, on est obligé de manger ce qu’on voit vraiment à l’écran. Ca occupe une demi-journée, on est pliés, on n’en peut plus. Et en général, c’est à ce moment là que sonne l’heure de la cantine.

_ Pourquoi ne pas avoir fait plus de recherches historiques ?

_ Il y a plein de spécialistes de la bouffe médiévale. Mais je n’ai pas voulu trop en savoir. Je suis affilié aux « médiévaleux » et aux fans de jeux de rôle grandeur nature. Je les connais bien, j’adore ces gens-là, mais j’essaye quand même de me distinguer. Kaamelott, ça se passe au Vème siècle : la fin de l’Antiquité, les tous débuts du Moyen-âge.  Donc, c’est l’histoire de mecs qui ont une culture romaine, pas de riches nobles médiévaux. Ils ne bouffent pas si bien que ça. Ce n’est pas non plus la France des poulardes, ce n’est pas l’ambiance.

_ D’où sortez vous qu’Arthur était un neurasthénique au bout du rouleau ?

_ La dépression d’Arthur, c’était une manière de pisser autour de ma série pour délimiter mon territoire. C’est ma série, ma comédie, mon histoire. Et si dedans, il y a un mec qui veut s’ouvrir les veines. Et bien non seulement je peux le faire, mais je vais le faire. C’est l’histoire d’un mec à qui on demande de commander d’autres types et de trouver le Graal. Moi à sa place, il y a des jours où j’en aurai eu plein le cul. Il fallait raconter ça. Je suis très heureux de ce que j’ai fait dans Kaamelott. J’y ai mis tout ce que je voulais, sans baisser mon froc.

_ C’est donc bien un autoportrait ?

_ Bah c’est quand même l’histoire d’une prise de pouvoir. Et avec cette série, j’ai moi-même pris le pouvoir. Celui de dire oui, et surtout non, à plein de trucs. J’ai gagné de l’argent aussi. Et le pouvoir et l’argent, ça isole. Ce n’est pas une légende : quand tu es chef, tu es isolé. Tes copains sont toujours là, mais tu les vois moins, parce que tu bosses beaucoup, et que tu vas dans des endroits où ils ne peuvent pas forcément te suivre faute de pognon. Donc oui, ça a pu me plomber. Ces jours-ci d’ailleurs, ce plomb revient. Je n’ai plus dirigé de plateau depuis deux ans, ça me manque. Je fais mon boulot de producteur, je négocie des contrats, je monte des projets, il y a eu l’histoire avec Delon… Et cette période a tendance à me rendre triste comme une pierre. Je sais faire des séries, des films, je sais ce que je veux mettre dedans. Mais je ne suis pas forcément doué pour prouver aux autres que les histoires que j’ai envie de raconter méritent d’exister. Tout ce processus m’emmerde, mais il faut en passer par là.

_ Vous êtes visiblement plus doué pour noyauter le système, que pour lui dire merde…

_ Mais je n’ai pas envie d’envoyer chier le système, je ne veux pas être anonyme. L’industrialisation de mes histoires m’intéresse, j’ai envie de faire des trucs populaires. Je viens d’une famille d’acteurs où l’on n’avait pas un rond. Au théâtre, j’ai connu les salles vides et les salles pleines. Et je peux vous assurer que je préfère les salles pleines. Mais le processus est dur, j’essaye juste de ne pas me laisser noyer par le découragement. Parce qu’Arthur, son problème, ce n’est pas qu’il est triste, c’est qu’il est découragé. Moi, je ne reste pas planqué au fond mon lit. Enfin, j’essaie. Même s’il y a des jours où je préfèrerais rester chez moi, jouer à la PS3.

*un épisode précédent la série, mais tourné après

Entretien : Frédéric Foubert

Remerciements à Caroline Ripoll et Nathalie Chambon du Festival Scénaristes en séries (http://www.scenaristesenseries.com/)