Bandes originales et bonnes bouteilles… Et si la French touch du vin consistait à déguster un grand cru en écoutant des musiques de films? Grand Seigneur a trinqué à la santé du 7è art avec Olivier Magny du bar à vins O’ Château, le nouveau Gabin des apéros.
01_«Vincent, François, Paul et les autres» (Générique) = Gevrey-Chambertin
C’est quoi ? L’un des thèmes les plus mélancoliques de Philippe Sarde sur la France des 70’s, filmée par Claude Sautet, entre début du chômage, divorces et petits bonheurs ordinaires. Ça évoque quoi ? La grosse flippe de voir que nos vieux se prenaient autant la tête que nous… Alors que grosso modo, les choses n’allaient pas si mal que ça (logement, business, bagnole, etc.). On boit quoi avec ? « Probablement un Bourgogne à cause des rappels d’orgue, de la dimension très française, religieuse, presque cistercienne du générique du film », explique Olivier Magny. « A un moment, il y a comme un souffle qui s’empare du thème. Donc, c’est une mélodie qui réclame un vin qui prend une amplitude toute particulière… » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Une cuvée qui s’appelle La petite chapelle de chez Jean-Louis Trapet à Gevrey-Chambertin. C’est un premier cru qui évoque la France un peu rurale, l’agriculture héritée des moines. Avec quelque chose derrière qui nous entraine dans une émotion intérieure, une vibration qu’on n’avait pas forcément vu venir ». On pleure ou pas ? « On est vite bousculé par la beauté du vin et la mélancolie des accords. En fait, tout se passe comme si les notes de piano et le Gevrey-Chambertin prenaient la même couleur. Celle de la petite bourgeoisie des 70’s, avec ses petits soucis de couple, ses week-ends entre amis, sa passion du gigot, de la clope au bec, des baraques à la campagne, des retours embouteillés du dimanche soir. Bref, c’est la musique et le vin d’un monde perdu. »
02_«La grande bouffe»
(Générique) = Cuvée l’Ebrescade
C’est quoi ? La rumba bucolique d’un film légendaire sur la mort, le sexe et la gastronomie, filmé par Marco Ferreri et composée par Philippe Sarde, avec une flûte contrebasse de quatre mètres de haut et un saxo dans lequel Ferreri avait glissé un mouchoir pour en accentuer le timbre clownesque et étouffé. Ça évoque quoi ? La poésie absurde de toutes les existences où les tragédies ne sont rien, comparés à tout ce qu’il faut faire et endurer pour sauver son couple et gérer ses excès sans trop se faire remarquer. On boit quoi avec ? « Un vin à la fois élégant, enlevé, ambitieux mais qui est aussi un vin de soif », précise Olivier Magny. « C’est à dire un vin sensuel qui révèle notre côté primate à tous. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « La cuvée l’Ebrescade de Marcel Richaud : un Côtes du Rhône qui vous tire le haut, mais en même temps, flatte vos bas instincts charnels et carnés. C’est un vin qu’on déguste comme une étreinte compulsive, quelque chose d’incroyablement fort, puissant, animal et dans la grâce de l’instant. Et Marcel Richaud est un vigneron de Cairanne (Vaucluse) dont je ne crois pas qu’il ait jamais produit une mauvaise bouteille de vin. » On pleure ou pas ? « Tous les gens en mal d’émotions qui voient la baise et la gastronomie comme dans La Grande Bouffe de Ferreri peuvent connaître (avec modération, ndlr) les mêmes sensations pour un prix très abordable. C’est un vin qui emmène très haut mais n’humilie pas quand on le boit. Rien à voir avec le côté sentencieux ou cathédrale des grands Bordeaux. »
3_«Dernier domicile connu»
(La recherche) = Domaine Léon Barral
C’est quoi ? L’une des plus belles compositions de François de Roubaix sur le thème de la marche dans le Paris du début 70’s, défiguré par les travaux et les premiers grands ensembles et filmé par José Giovanni dans le film Dernier domicile connu. Ça évoque quoi ? Malheureusement, le tube « Love Supreme » de Robbie Williams qui tout pompé et samplé comme un Dj javanais. Mais aussi la course-poursuite du destin : ce truc sur lequel on se cale en rythme sans trop savoir ou l’on va, ni vraiment pourquoi. On boit quoi avec ? « Un vin qui évoque la tangente et les équilibres incertains », explique Olivier Magny. « Quelque chose qui nous entraine vers des moments sans pareils, mais aussi comme dans une fuite en avant. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Une appellation du Languedoc qui s’appelle Faugères du Domaine Léon Barral. Probablement les meilleurs vignerons de France. C’est un vin unique, d’une élégance folle. Un grand cru “sur la ligne” qui nous pousse vers un vertige intérieur, une recherche acrobatique de nous même. Comme si quelque chose nous poussait sans cesse à marcher de l’avant, alors qu’on sent qu’on peut tomber à tout instant. » On pleure ou pas ? « On est “sur la ligne”, on avance… On a envie d’arriver au bout du vin, d’accéder à un secret. Mais on n’y arrive jamais, car le secret du Domaine Barral, c’est de nous faire marcher encore et encore. Un peu comme un combat dont on ressortirait à chaque fois plus fort et plus déstabilisé. »
4_«Le sucre» (Miami)
= Château de Fronsalette
C’est quoi ? Une salsa afro-cubaine délirante, composée par Philippe Sarde sur le thème de la fête à gogo et filmée par Jacques Rouffio à Miami, avec Jean Carmet et Nelly Borgeaud dans le rôle des « french speculators ». Ça évoque quoi ? La farce géniale de toute l’économie boursière où finalement, plus c’est gros, plus ça marche. Comme faire croire au monde entier qu’il n’y a plus de sucre, afin de faire monter les cours. On boit quoi avec ? « Un vin magnifique qui joue sur la corde des jeunes filles ravissantes, un peu primesautières et sures de leurs charmes », imagine Olivier Magny. « On est amoureux alors qu’elle ne promet rien, on sait bien qu’elle n’est pas pour nous. Et pourtant, on succombe quand même. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Un Château de Fonsalette de la famille Reynaud, probablement l’un des meilleurs Château Neuf du Pape. En tous cas, le Côtes du Rhône le plus cher de l’appellation. C’est un ovni complet qui s’impose comme une apparition, avec toujours cette inconnue des grands vins gourmands sur le fruit rouge, le côté croquant, les notes de cassis, framboise et groseille. » On pleure ou pas ? « Le Château de Fronsalette, c’est aussi un vin qui transfigure le buveur, qui l’extrait de son quotidien et fait advenir quelque chose de plus noble. Un vin trompeur comme à la Bourse. Il vaut quatre-vingts euros la bouteille, alors qu’il a l’air d’en valoir huit. Il prend de l’amplitude, de la largeur, mais on ne sait jamais ce qui va se passer. »
5_«L’armée des ombres»
(thème de Gerbier) = Achaval Ferrer
C’est quoi ? La symphonie scotchante d’Eric Demarsan sur les héros anonymes de la résistance, filmés par Jean-Pïerre Melville dans L’armée des ombres. Ça évoque quoi ? La solitude, la sauvagerie, la lutte parallèle de ces premiers résistants sous l’occupation, dont les soixante-huitards se sont foutus de la gueule assez connement pendant plus de quarante ans. On boit quoi avec ? « Paradoxalement un vin argentin, parce que c’est un pays où faire un grand vin relève de la résistance, un pays qui s’est vendu à l’uniformité des marchés du vin. Et où seul un vigneron s’oppose à la nuit », ose Olivier Magny. OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Un domaine qui s’appelle Achaval Ferrer : l’un des seuls en Argentine dont l’objectif est la production de vins de très haute qualité contre tous ces Malbec qui nous ennuient se ressemblent comme deux bouteilles de Coca. Quand on entend ce thème si lourd, qu’on devine les pas de la bête qui s’avance, on ne peut pas s’empêcher à Santiago Achaval, Manuel Ferrer et Roberto Cipresso : des soldats du vignoble dans leur genre. Des héros méconnus de la région viticole de Mendoza, près de la Cordillère des Andes, qui luttent dans le silence et l’indifférence des marchés pour la meilleure combinaison du terroir, des sols et du microclimat. » On pleure ou pas ? « Lorsqu’on guette le moment où la musique prend son envol, on ressent le vin au nez. Et on se dit alors que ce qu’on boit ressemble enfin à quelque chose de vrai, quelque chose de différent, que tout n’est pas perdu. »
6_«Le Train» (Anna) = Cuvée d’Alsace
C’est quoi ? La mélodie envoutante d’une passion foutue d’avance dans le chaos de l’exode et de l’occupation, composée par Philippe Sarde et filmée par Pierre Granier-Deferre dans le film Le Train. Ça évoque quoi ? La dignité de la révolte contre la connerie, la veulerie, les kapo, les presse-boutons, les machines à broyer, la bureaucratie, la lâcheté. Même si elle doit conduire à une mort certaine. On boit quoi avec ? « Un vin qui a du poids, de la lourdeur, de la richesse, un sucre lourd qui pèse mais qui est nécessaire », estime Olivier Magny. « Parce que c’est dans le sucre qu’on va révéler ces sentiments nobles que sont l’amour, la justesse, l’abandon. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Une cuvée d’Alsace qui s’appelle l’Altenberg de Bergheim, produite par Jean-Michel Deiss. C’est un vin liquoreux extrêmement précis, pointu, jamais lourd, avec ce sucre qu’on finit par oublier tellement c’est juste. Et tous ces fruits, ces arômes qui sont comme l’éjaculation du monde. On l’appelle l’Yquem Alsacien. Un truc germanique sans chichi, ni ronds de jambe mais la droiture de l’expression. » On pleure ou pas ? « On ferme sa gueule, on baisse la tête et on jouit. On est dans le pur bonheur de l’instant de haute volée, quelque chose qui n’est pas reproductible, un vin qui éclipse toutes les conversations et les faux semblants d’un dîner. Et qu’on a l’élégance de vouloir tenir encore un peu dans ses bras. »
7_«Le Chat» (Générique)
= Tourigo Nacional
C’est quoi ? La ballade au piano la plus juste jamais composée par Philippe Sarde sur le thème de l’âge et d’une vie qui s’évapore, filmé par Pierre Granier-Deferre dans le film le Chat. Ça évoque quoi ? Le souvenir fugace de grands-parents qu’on a vu s’éteindre et emporter leur monde avec eux, sans bien qu’on s’en rende compte. Egalement la perspective de connaître exactement la même chose, peut-être plus vite qu’on ne le pense. On boit quoi avec ? « Un vignoble portugais qui n’aurait pas trop bénéficié de cette explosion du monde du vin qu’on connaît actuellement, avec un cépage dans la justesse du temps », développe Olivier Magny. « Un porto de petit vieux, par exemple, qui boit son petit verre d’apéritif, dans la perpétuation et la micro ébriété des habitudes. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Un cépage qui s’appelle le Touriga Nacional dans la vallée du Douro, et qui est juste un truc lunaire et un miracle de beauté. Pourquoi pas un Tawny de chez Ramos Pinto ? Le vin d’une vielle, belle et grande maison endormie, qui disparaît doucement dans le sucre, le soleil et la chaleur de cette Europe dont on se dit qu’elle ne changera jamais. Alors qu’elle est justement en train de mourir sous nos yeux. » On pleure ou pas ? « La bonne nouvelle, c’est qu’avec le réchauffement climatique, le Touriga Nacional on peut le planter partout. C’est un cépage qui n’a pas besoin d’eau. Même en Australie où il fait 45 degrés, ça leur fait un super vin. Ca les change du Merlot… »
8_«Les choses de la vie»
(Générique) = Château de Pibanon
C’est quoi ? Probablement le morceau le plus gai qu’on ai jamais écrit sur la tragédie du quotidien, avec Philippe Sarde au piano et Claude Sautet à la caméra dans le film Les choses de la vie. Ça évoque quoi ? La France seventies des accidents de la route, des gitanes chic et du whisky à 17h. Le basculement des choses, la fatalité d’une existence qu’on ne peut tout à fait contrôler… On boit quoi avec ? « Un vin de Provence qui nous enterre sous son soleil et sa joie de vivre », raconte Olivier Magny. « Parce que c’est un peu la musique d’une émotion rentrée, comme écrasée par la force des éléments extérieurs. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Un Mourvèdre du Château de Pibanon, un endroit fabuleux avec un amphithéâtre romain, la méditerranée, les filles, etc… On devrait y être heureux, mais on ne l’est pas. Parce que le Mourvèdre, il est comme ça, obscur, profond et noir », décrit Olivier Magny. « Avec ce genre de vin, on n’est pas dans le clinquant, ni dans l’ensoleillé. On n’est pas chez les buveurs de Pastis ou les mecs avec l’accent. Mais on va être dans le juste, dans le vrai. Et peut-être même dans le beau. » On pleure ou pas ? « On accepte son sort de buveur de Mourvèdre soumis à la tristesse. Surtout quand la musique bascule et que le vin semble nous dire : OK, tu m’as toléré pendant deux gorgées. Maintenant, voici la beauté. Tu l’acceptes ou tu ne l’acceptes pas. Mais je t’avais prévenu, on n’est pas chez les tapageurs. Sinon, va boire un rosé. »
9_«La folie des grandeurs»
(Flamenco Blaze) = Cuvée 2 sur 3
C’est quoi ? Les vocalises infernales d’Yves Montand en yaourt espagnol sur des accords de Michel Polnareff et filmé par Gérard Oury dans « La folie des grandeurs ». Ça évoque quoi ? Les dimanches soir en famille, les 33 tours en partenariat avec l’Unicef, la toute puissance de Montand, la rencontre impro-bable entre Polnareff et la comédie populaire. On boit quoi avec ? « Quelque chose d’aussi fou que Montand en chanteur de charme dans un film à castagnettes », annonce Olivier Magny. « Un vin espagnol, bien sûr, mais fait par trois des plus grands vignerons du Rhône à Torroja del Priorat en Catalogne. C’est un peu comme Montand et le flamenco, on aimerait que ce soit un mec du cru et la star tue un peu le produit, mais c’est excellent quand même. » OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « La cuvée 2 sur 3 de Peter Fisher, Laurent Combier et Jean-Michel Guérin. Deux cépages de Grenache et de Carignan plus que centenaires avec un petit pourcentage de Syrah, sur 18 hectares de vignoble, entre 300 et 500 mètres d’altitude », précise Olivier Magny. « C’est un vin de méditerranée avec juste ce qu’il faut de fraicheur et d’élégance, pour nous emmener très loin dans les montages Montsant. Et nous rappeler en même temps que nous sommes dans un divertissement… Un bon film sur TF1, quoi. » On pleure ou pas ? « Quand la voix de Montand part dans les graves, on a la même concentration dans le 2 sur 3. C’est un vin qui chante plutôt bien, mais ne nous force pas non plus à aller à l’Opéra. »
10_«36 Quai des orfèvres»
(Générique) = Pique-Russe
C’est quoi ? La plus sophistiquée des musiques de boucle, composée par Erwann Kermorvan pour un film qui tourne parfois aussi un peu en boucle : 36 Quai des orfèvres d’Olivier Marchal. Ça évoque quoi ? Le putain de stress d’un ancien flic qui fait du cinéma et n’y arrive pas toujours forcément. Mais qu’on aime bien aussi pour ça. On boit quoi avec ? « Un vin qui montre un peu les muscles, joue au ricain, au bad boy dans les Charentes », prévient Olivier Magny. « Mais c’est comme la musique, c’est cool mais on n’est pas vraiment chez nous. Ce n’est qu’une interprétation locale de ce qui fonctionne dans l’entertainement. »OK, mais qu’est-ce qu’on boit ? « Un tout petit domaine de quelques hectares qui s’appelle Pique Ruse. Les mecs sont paumés vers La Rochelle, ça ressemble à du vin Californien des Charentes », s’amuse Olivier Magny. « C’est un peu bizarre, mais c’est vachement bon quand même, avec une largeur très sensuelle qui vous emporte comme le rouleau d’une vague. C’est efficace, concentré, mais il manque la petite voix, la justesse. Au fond, les vins du nouveau monde remixés en France, c’est un peu comme les violons dans la gueule, ça ne suffit pour en faire une grande tragédie. » On pleure ou pas ? « C’est une émotion à grands coups de pinceaux. On dirait les vins de Francis Ford Coppola en moins cher. Ça peut tirer des larmes sur grand écran. Mais dans la vie, on ne la voit même pas. »
Entretien : Olivier Malnuit
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
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