Laurent Lèguevaque «J’ai une vie un peu monacale»»

Capture du 2015-06-11 15:52:21
Céline Barrère

C’est l’ancien juge qui a fait scandale avec sa «Lettre à mon fils lui expliquant toutes les bonnes raisons qu’il aura de boire». Surprise: pour Laurent Lèguevaque, la plus belle des ivresses, c’est aussi l’abstinence.

 

Laurent Lèguevaque, ça ne doit pas être facile de publier un livre qui dit «Lâchez-vous, buvez un coup et surtout plusieurs»…
Mon éditeur m’a dit : je vous publie parce que ça m’a donné soif. Mais c’est vrai qu’il y a une difficulté à tenir un discours de liberté et d’esprit iconoclaste, et même politiquement incorrect, car on vit dans une société où la culture a été remplacée par le droit. Le bon vieux « Mademoiselle, la fumée vous dérange-t-elle ? » est remplacé par un truc placardé sur le mur qui vient d’un décret avec interdiction de fumer dans les lieux publics. La courtoisie a été remplacée par un ordre, un diktat venant de la loi. C’est-à-dire que le droit remplace les relations humaines. Si la culture ne prime plus sur le droit, on se dirige vers une civilisation fascisre, paranoïde et absurde.

Pourquoi dédier un livre sur l’alcool à votre fils ?
Parce c’est une vraie lettre que j’avais d’abord adressée à mon fils et qu’il m’a demandée de publier. C’est moins un simple éloge de l’alcool, qu’une façon de lui transmettre l’esprit de liberté. C’est pour lui dire: « Toutes les libertés que tu auras, comme celle que j’ai de boire, sont des libertés que tu devras arracher au corps social. »

Quelle est la relation de votre fils à l’alcool ?
Il m’a demandé mon avis pour se rendre ou non à un apéro Facebook. Comme il faut souvent répondre à une question par une question avec les jeunes pour les forcer à penser par eux-mêmes, je lui ai retourné la question. Il m’a dit : « Ça ne m’intéresse pas trop, car c’est une façon de consommer acculturée, On se réunit juste pour l’ivresse, on n’a pas grand-
chose à se dire ». L’expérience de l’alcool que mon fils a à travers moi, c’est plutôt d’aller à la rencontre des viticulteurs. Il s’aperçoit que le vin est agréable parce qu’il y a un fond culturel, ça baigne dans un agglomérat de données géographiques, historiques, de terroirs, de cultures de plaisir.

Quelles différences avec un apéro Facebook ?
Dès qu’on ne peut pas mettre de discours sur un comportement, on sort de la culture, on est dans quelque chose de plus bestial. Goûter du vin dans la cave d’un viticulteur qui va nous faire un discours intéressant sur le produit, d’accord. Goûter de la vodka avec I0 000 inconnus surveillés par des flics comme dans un meeting de Mélenchon, ça le branche pas. Mon fils découvre la différence entre la civilisation et I’absence de civilisation.

Vous avez également écrit de très iolies pages sur le fait de ne pas boire. Y a-t-il une forme d’ivresse dans l’abstinence ?
C’est quand on ne boit pas qu’on découvre que boire n’est intéressant que parce qu’on sait s’arrêter. Je pense que ça fait partie du plaisir de l’alcoolisme de s’arrêter de temps en temps. On ressent le plaisir de maîtriser son corps et de revenir à un poids normal. J’en tire aussi un plaisir presque masochiste, c’est une violence qu’on se fait et à la fois un bienfait. J’en souffre car c’est mon mode de vie, une posture, une façon d’être au monde et je suis heureux à l’idée d’y replonger, car je sais que je suis un incurable.

Quelle a été votre plus longue période sans alcool ?
Environ trois mois. Dans ces cas-là, j’ai une vie un peu monacale et j’en profite pour faire un travail de Iongue haleine. Je pense que paradoxalement, j’ai écrit ce nouveau bouquin sur l’alcool dans une période sans alcool. Et puis, j’ai besoin d’un peu de solitude. Il faut comprendre que le poivrot est très sociable. Il aime les autres, et parfois il a besoin de leur dire : « Stop, j’ overdose, j’ ai besoin de me vider un peu par tous les Pores ».

Vous ne vous ennuyez pas parmi le peuple des bars, celui que vous appelez «le peuple élu» ?
Je suis pénétré par la conviction qu’une conversation n’est jamais une perte de temps, ou très rarement. Je dis souvent, et je ne rigole pas en le disant, que j’ai des centaines de psychothérapeutes. Car le barman est un psychothérapeute évidemment. C’est un intuitif rompu au contact humain.

Entretien_Laure Michel