Thierry Ardisson «Les seuls dîners que je fais, c’est quand c’est payé»

 

 

Thierry Ardisson, vous sortez un nouveau coffret DVD (« La boîte orange ») avec – entre autres- les meilleurs moments du dîner « 93, Faubourg Saint-Honoré » ( Paris Première). C’était qui les chefs qui venaient cuisiner chez vous à l’époque ? 

Ça dépend. Au début, c’était Guy Martin du Grand Véfour. Après, Jean-François Piège lorsqu’il était au Crillon. Et puis, Eric Fréchon quand il dirigeait la cuisine du Bristol. On a eu tout le temps des grands cuisiniers en fait.

Pourquoi les mettiez-vous si peu en valeur ? Même le majordome (Régis) était plus connu qu’eux…

Pour vous dire la vérité, ils ne venaient pas trop. Ils étaient là la première fois.
Et après, ils envoyaient la bouffe avec leur sbire. Certains sont quand même revenus dans l’émission, mais disons que ce n’était pas systématique.

On a l’impression que la cuisine ne vous intéressait pas tellement. Par exemple, vous ne parliez jamais de bouffe dans ce dîner…

Mais ça ne m’intéresse pas. Moi je ne fais jamais de dîner en réalité. D’ailleurs,
les seuls dîners que j’ai fait, c’est quand
c’était payé par Paris Première. Mais je ne suis pas du tout branché gastro. Ce qui m’amusait dans ce dîner,
c’était surtout de faire bien manger
et bien boire les invités pour qu’ils me racontent des trucs, c’est tout.

Ça vous arrive d’aller dîner chez les anciens cuisiniers de «93, Faubourg Saint-Honoré» ?

Rarement. L’autre jour, je suis allé manger avec un ami chez Jean-François Piège dans son restaurant Le Thoumieux (Paris 7e). Et je lui ai dit : « Quand je pense qu’à l’époque, ces gens m’apportaient à bouffer chez moi et que j’avalais ça comme si c’était du hamburger… »

Dans «93, Faubourg Saint-Honoré», vous trinquiez au Champagne dans la cuisine, buviez du vin à table, Gérard Darmon n’arrêtait pas de cloper. Et à la fin, vous arrosiez ça avec un alcool de poire… Comment faisiez-vous avec la loi Evin ?

Moi, je mettais ma clope sous la table. Pas Darmon, c’est vrai. Et c’est vrai que sur le vin, on n’a jamais eu d’emmerdes. Mais c’est interdit, je sais. Disons que je suis passé entre les gouttes…

Comment ça se passe chez Guillaume Durand qui a repris le concept sur Paris Première («Rive Droite») ? Les invités fument et boivent ?

Chez lui, ils ne fument pas parce que plus personne ne fume à Paris à part moi. Et on y boit très calmement. Mais quand j’ai commencé la télé, on faisait Bains de minuit sur la 5 totalement torchés au Champagne !

Comment «castiez»-vous vos invités ?

Ça se passait généralement comme dans un dîner en ville. C’est-à-dire « une pute et un archevêque » quoi, la fameuse définition du dîner de têtes. C’est ce qui m’a toujours fait marrer : le mélange des genres.

Ces fameuses caméras déguisées en majordomes qui tournaient autour de la table, ça restait discret ?

Oui, d’abord c’était silencieux. Et les gens ne les calculaient pas. Du coup, au bout d’un moment, ils parlaient comme s’ils étaient dans un dîner avec des amis. Ça permet de dire des choses un peu plus transgressives qu’à la télé.

Pour une émission à petit budget, vous aviez de gros moyens de réalisation, non ?

Des idées surtout, comme les bougeoirs ou les fondus au noir. Et puis, on avait Nicolas Ferraro qui est un réalisateur excellent. C’est lui qui a fait ensuite les émissions de Franz-Olivier Giesbert (Semaine critique) et Frédéric Taddeï (Ce soir ou jamais).

Comment faisiez vous pour filmer le dîner d’en face ?

On avait soudoyé les voisins de l’autre côté de la rue pour installer une caméra chez eux. Et c’est vrai que moi, j’adore ces plans. La lumière à la Barry Lindon, les invités qu’on reconnaît à travers les vitres… Dans 93, Faubourg Saint-Honoré, même l’arrivée des invités était très tournée. Toute la difficulté, c’était de faire arriver les gens en donnant l’impression que c’était impromptu. Alors que tous les rendez-vous étaient bien sûr calculés…

C’est-à-dire ?

L’émission était scénarisée comme une fiction. Même les gens qui venaient en retard, c’est parce qu’on leur demandait. On faisait extrêmement attention à ce que chacun puisse parler. Stéphane Simon (le producteur, ndlr), me disait depuis le car en bas, qui réintroduire dans la conversation. Il m’arrivait de faire semblant d’aller pisser pendant le dîner, juste pour lui parler au téléphone.

C’est quoi votre souvenir de dîner le plus mortel ?

Guillaume Canet, Kad Mérad et Olivier Baroux entre autres, pour la promo de Un ticket pour l’espace, film qui n’a pas laissé un souvenir impérissable. J’avais fait la connerie d’inviter toute l’équipe du film à dîner. Mais comme personne ne pouvait en même temps, on a fait ça un dimanche soir, ce qui était déjà une punition… Je suis arrivé un peu en traînant les pieds. Et là, ils ne sont rien dit.

Comment ça « rien » ?  Ils n’avaient plus rien à se dire ?

Ils s’en branlaient, c’était dimanche. Kad commençait à avoir du succès, Guillaume en avait déjà beaucoup… C’était horrible. Je leur ai dit : « Mais putain les mecs, je me fais autant chier qu’à un dîner de famille… » Après, ils ont fait des efforts, mais le cœur n’y était plus. Faire un dîner monodimensionnel, monocolore, monolithique, c’est toujours une connerie. Faut du mélange !

Pourquoi n’avez-vous jamais filmé les gens en train de dîner ?

On l’a fait pour le premier dîner avec Max Gallo et Frédéric Beigbeder. Mais le résultat était épouvantable : les bruits de mastication, les conversations la bouche pleine… On n’a jamais recommencé.

Depuis deux ans, vous présentez une nouvelle émission («Tout le monde en a parlé», Canal Jimmy) sur les stars perdus de vue. Qu’est-ce qui vous fascine chez les has-been ?

Ce qui me fascine de manière générale, c’est le destin des gens ! Douchka de Walt Disney, Séverine Ferrer, Patrick Hernandez… D’où viennent-ils ? Comment sont-ils devenus des stars ? Pourquoi ont-ils disparu ? Comment ça se passe quand on cesse d’être célèbre ? Qu’est-ce qu’on fait après ? Toutes mes interviews sont bâties comme ça. Et c’est le schéma Scarface à chaque fois…

C’est pas trop le ball-trap aux ringards ?

Non, pas du tout. Il y a même beaucoup de bienveillance et de compassion dans Tout le monde en a parlé. On n’est pas dans l’humour pédé de j’m’en foutisme absolu et de la dérision décalée non stop. Ce n’est pas le côté « J’adooore les vieilles et je me fous de leur gueule ». Moi aussi, j’ai eu ma propre traversée du désert. On parle de leur vie. Et le plus intéressant, c’est quand ils expliquent pourquoi ils se sont plantés…

Où en sont vos projets de cinéma ? Depuis le temps qu’on entend parler de vos pitchs de films…

Et bien, ça y est. Je vais coproduire avec Lisa Azuelos et Julien Madon mon premier film avec Mathilde Seigner, Jean-Pierre Marielle et JoeyStarr. C’est un conte de Noël réalisé par Stéphanie Murat. L’histoire d’une petite fille dont le papa est veuf, qui veut lui trouver une femme, tombe sur une pute et la ramène à la maison. C’est charmant ! J’ai Warner, Canal et je viens d’apprendre que M6 suivait. Donc, le film va se faire. Youpi !

Fais gaffe, les gens vieillissent mal dans le cinéma…

J’ai surtout compris qu’il ne fallait pas compter dessus pour vivre. Le plus fascinant dans ce milieu, c’est le calendrier du cinéma. En télé, on bosse chaque semaine pour la semaine d’après, donc on n’arrête pas. Mais dans le cinéma, les gens vous disent : « Bon bah, on se revoit en janvier ? » Et là, vous avez envie de leur répondre : « Mais pourquoi pas la semaine prochaine !? » Et là, ils vous disent : « Ah ouais, si tu veux… » J’ai jamais vu ça !

L’année s’achève avec une série de records d’audience pour votre émission «Salut les terriens» sur Canal+. Qu’est-ce qui vous arrive ?

On s’est cherché les deux premières années. Mais aujourd’hui, l’émission est hyper vissée, réglée comme une horloge suisse. Le bouche-à-oreille fonctionne très bien, les gens passent une fois dessus, ils reviennent la semaine d’après.

Finalement, vous faites l’une des dernières émissions sans chroniqueur culinaire…

C’est vrai ! Mais pour moi, la télé culinaire c’est vraiment un truc de Martiens. Il y a toute une télévision du quotidien née ces dernières années sur M6 et TF1, qui m’est totalement étrangère. Pour moi, la télé ça doit être l’école du peuple. Ça doit faire évoluer les gens, leur apprendre des trucs tout en les divertissant.

• «La Boîte Orange», Coffret 3 DVD «Ardisson, les années Paris Première», 39,99 Euros.

Entretien: Olivier Malnuit

Photo: François Darmigny