C’est Ia lutte des glaces – N°1 Häagen-Dazs : inventer un nom à coucher dehors.

Häagen-Dazs, ce n’est pas juste une super marque de glaces aux spéculos ou aux cookies, c’est aussi un nom complètement bidon inventé par des as du marketing : les géniaux Rose et Reuben Mattus…

Deux destins à la symétrie quasi parfaite : des parents juifs fauchés qui ont fui la Pologne et rejoint New-York à I’aube des 20’s. A peine arrivés, Reuben Mattus et sa mère Léa se lancent dans les sorbets faits maison. Léa prépare des glaces au citron que le gosse trimballe dans un van à cheval pour les livrer aux restaurants du Bronx. En 1936, Reuben Mattus et Rose Vesel (qui a passé son adolescence dans le quartier juif de Brooklyn) se marient et s’associent dans l’entreprise familiale. A la force du poignet le tandem va se lancer dans la vente de glaces… Un commerce déjà très lucratif, à l’époque.

Faux danois
En 1961, après une furieuse séance de brainstorming le couple Mattus invente un nom à coucher dehors: Häagen-Dazs, sorte de dédicace aux trayeurs de vaches danois et au Danemark qui a refusé de déporter des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Pour la frime, ils rajoutent un tréma et la combinaison «zs» pour la connotation nordique. Pourtant, ces sonorités n’ont jamais été entendues en Scandinavie. Qu’à cela ne tienne ils apposent aussi une carte du Danemark sur les premiers emballages. Le «foreign branding» est né. Et auprès du consommateur US, l’illusion fait mouche. Mais Rose ne s’arrête pas là. Pendant que son mari s’occupe
des recettes, elle développe la marque pour en faire un produit «mainscream». Rompue au marketing, elle invente la glace en pot, offre des échantillons aux épiciers et s’attaque au marché particulièrement juteux des étudiants de Greenwich Village et des fumeurs de joints.

Rose a disparu
Début des 8o’s, Hâagen-Dazs prospère : les ventes annuelles atteignent 115 millions de dollars. Mais Reuben décide de vendre l’entreprise au groupe Pillsbury pour 70 millions de dollars, depuis rachetée en 2001 par General Mills (Le géant Vert, Old el Paso, etc). Humiliation suprême, Rose est démise de ses fonctions après un bilan de compétences. Aujourd’hui, peu ou prou de traces de Rose dans l’histoire officielle d’Hàagen-Dazs. Le dossier de presse du 50ème anniversaire de la marque parle bien s’ « un homme visionnaire», en l’occurrence Reuben. Mais point de sa femme: « En 1961, convaincu du fort potentiel commercial de ses produits, Reuben Mattus crée sa société. Après maintes recherches, il choisit un nom à consonance nordique, inventé de toutes pièces». lronie du sort ou turpitude des fusions, cette excommunication a quelque chose de tragique.

Une création visuelle où l’épure contemporaine laisse libre court à l’imagination.
(Thomas Lélu)

Le pot à 100 euros
Retour en 2011 : le faux glacier Danois règne sur 700 boutiques (75 en France) dans plus de cinquante pays du monde, même au Danemark. Pour fêter son 50e anniversaire, la boutique Hâagen-Dazs des Champs-Elysées et le magasin Colette distribuent le 28’18 » Moment, un pot de glace «collector» à cent euros en forme de pierre de curling conçu par le designer Cédric Ragot. Pour justifier le prix, une cuillère et un DVD de l’artiste Thomas Lélu «qui a interprété ses émotions via une création visuelle où l’épure formelle extrêmement contemporaine laisse libre court à l’imagination et à la projection.» Whaouuu ! Du paradis des glaciers, Rose Mattus qui après son licenciement, avait crée la première marque de glaces «fat-free» (Mattus lce Cream Company), n’en serait toujours pas revenue.
Alexandre Majirus