Les fous du café ont-ils un grain ?

Cafés grands crus et machines d’exception: les «coffe-geeks», ces fous du café qui boivent un caoua comme on déguste un grand vin, veulent en finir avec le tord-boyaux qu’on sert au bistrot. Ça chauffe…

Sans le savoir, vous buvez chaque matin un épouvantable jus de chaussette. C’est – à peu de choses près – le message qu’aimerait vous faire passer la nouvelle génération de torréfacteurs qui s’agite depuis quelques mois en France. A leur tête, ou en tous cas le plus visible, Christophe Servell, un ancien producteur de films, fils et petit fils de brûleurs du Val de Marne, qui s’est reconverti dans les cafés gourmets d’importation depuis qu’il a vu les files d’attente et les prix pratiqués dans une célèbre enseigne de machines à cafés à capsules rechargeables. « C’était plein de petits vieux qui venaient se faire assommer pour des recharges hors de prix. Il y avait une ambiance odieuse, le genre club privé avec carte de membre. Et ça ne sentait même pas le café. » Deux ans plus tard, Christophe Servell est à la tête d’un petit empire de la caféiculture (Terres de café) avec pas moins de cinq troquets boutiques à Paris. Et une clientèle de fans qui ne désemplit pas dans ses estaminets qui, il est vrai, ne dépassent jamais les 40 m2

Appellations bidons

Les raisons d’un tel succès ? Une sélection des meilleurs crus de cafés à déguster sur place et à emporter (Blue Mountain de Jamaïque, Lac Tanna des Iles Vanuatu, etc.), mais Capture d’écran 2015-10-26 à 17.24.34surtout un discours « choc » particulièrement troublant sur la consommation de café en France depuis près d’un demi-siècle. « Nous avons une bonne gastronomie, mais une culture du café assez merdique », assume Christophe Servell. « La faute au Robusta et à la Chicorée (lire page 60), mais surtout à la grande distribution qui a totalement transformé nos habitudes avec l’invasion du café moulu sous vide. En réalité, de la poussière de grains de café, torréfiée il y a plusieurs années. C’est à dire du café mort, sans aucune fraîcheur. Et vendu sous des appellations bidons pour épater le gogo. » Pourquoi bidon ? « Parce que quand vous voyez sur l’étiquette 100% Arabica, ça ne veut rien dire. C’est comme le vin, ce n’est pas parce qu’il est estampillé 100% vin de France qu’il est forcément bon. Ca peut venir des pires propriétés qui font pisser la vigne à coups de pesticides et de fongicides. Et bien, le café c’est la même chose. Il faut lire une étiquette de café comme on lit une étiquette de vin. » Mais encore ?

« Nous avons une bonne gastronomie, mais une culture du café assez merdique. » (Christophe Servell)

Un produit agricole

« Regardez ce paquet. S’il y a marqué Equateur, ça veut dire que ça vient de l’Equateur. L’Astrolas, c’est la plantation. Et Kaparama, c’est la variété botanique. Ensuite, Extra fin de 6, c’est un niveau de qualité. C’est comme un Bourgogne, on a le village. Et quand c’est un premier cru, on a le clos et le viticulteur. » Toutes ces précisions « caféologiques » pour vous confirmer à quel point les cafés gourmets n’ont rien à voir avec la soupe à la grimace servie dans les cafés ou vendue dans les supermarchés. Mais aussi – et c’est assez fort de café ! – que nous n’avons peut-être jamais bu de vrai café. C’est à dire un café frais, dont on connaît l’origine, le terroir, la méthode de récolte, les techniques de lavage et la date de torréfaction. « Le café est comme tous les produits agricoles, il doit se consommer frais, être récolté de l’année, torréfié quinze jours après la récolte et moulu à la demande le jour même. Sinon, il perd tous ses arômes », précise Sadry Abidi de la boutique Café Mokxa à Lyon. « Or, certains cafés servis dans les bars ont été moulus parfois dix ou vingt ans plus tôt. On les prépare avec des machines mal réglées, mal nettoyées, qui puent, qui chauffent. Et on fait payer ça trois euros ! Ça me rend malade… »

Précieuses ridicules

L’or noir à boire  Le café est la première matière agricole échangée dans le monde, devant le blé et le soja.  Ci-dessus, les sachets d’Arabica arôme chocolat, une spécialité des cafés Voisin, torréfacteurs à Lyon.
L’or noir à boire
Le café est la première matière agricole échangée dans le monde, devant le blé et le soja.
Ci-dessus, les sachets d’Arabica arôme chocolat, une spécialité des cafés Voisin, torréfacteurs à Lyon.

Face à tant d’horreurs en tasse, les amateurs de café multiplient les dégustations comme autant de performances gustatives et politiques (lire page 57). Bien sur, il y a un côté « précieuses ridicules » de la petite cuillère, chez ces nouveaux « geeks » du café. Surtout, lorsqu’ils s’extasient en boucle sur leur dernier livraison brésilienne, « tellement agrûmée, tellement aromatique. » Quiconque a entendu des « coffee geeks » échanger sur les mérités comparés du Moka Yirgacheffe d’Ethiopie et du Liquidambar Caracoli du Mexique, a immédiatement eu la migraine du profane. Et ca n’est rien comparé aux débats sur les techniques de séchage avec ou sans mucilage (la partie visqueuse de la graine de café, ndlr) ou la mode du « surgrammage » chez les baristas pour faire plus de mousse. Au risque de se faire péter « l’énervomètre »… Mais cet engouement pour les cafés grands crus (avec plus de 200 torréfacteurs en France), a au moins le mérite de nous faire voir une vérité en face. Ça fait quarante ans qu’on sirote de la merde. Et un très bon café coûte à pleine plus cher qu’un très mauvais…

Marge colossale

« Un très grand café comme le Moka Yéti Bio d’Ethiopie coûte huit euros le paquet de 250 grammes. C’est à dire à peine 3,50 euros de plus qu’un sachet de café industriel, torréfié en 90 secondes il y a des années », compare Christophe Servell. « Mais pour ce prix là, on accède à un produit qui a nécessité une récolte manuelle, avec un soin apporté au tri et au lavage qui est au moins le même que celui apporté aux grands crus bordelais ». A l’opposé, que vaut réellement un très mauvais café, vendu trente ou cinquante  centimes le gobelet, dans un distributeur de bureau ou de station service ? « Rien ou presque. La marge est colossale puisqu’en général, ils sous-gramment le café à cinq grammes quand il en faudrait sept au minimum. Et que les machines ont un grain de compression pas terrible… Résultat : vous buvez un machin rance hors de prix, qui ne sert en fait qu’à vous bruler l’estomac. » Quelle histoire ! Et si on achète son café en grains pour le préparer chez soi avec une super machine automatique ? « La machine, c’est très important », reconnaît Servell. « On pense par exemple que les Italiens ont un secret pour faire du bon café. Mais il n’y a pas de secret, il faut juste une bonne machine, une bonne mouture et un peu de savoir-faire. »

Espresso perfetto

Un chiffre qui en dit long ? Les machines à café automatiques (celles qui font tout, du grain à la tasse) sont les seules à voir leurs ventes augmenter de plus de 20% par an en France. Parmi elles, les Philips Saecco ont reçu le label « Italian Testers » qui récompense la capacité à préparer un expresso sans défaut : un « espresso perfetto » (lire page 62). « Ce sont les premières machines automatiques à avoir utilisé un moulin en céramique qui permet de ne pas modifier les caractéristiques organoleptiques des grains de café », explique Leonardo Antonio Avezzano, le responsable marketing Europe de la marque. « Mais ce label salue aussi notre groupe café extractible, très facile à nettoyer, notre système d’auto-réglage qui optimise l’extraction du café et fournir un café plus crémeux, etc. » Selon une étude récente (One Coffe), 59% des français apprécient de finir un dîner au resto sur un café. Mais est-ce que quelqu’un leur a dit ce qu’ils buvaient ? ¬

 

Par Olivier Malnuit (avec David Bedart et Fanny Laison)

Photos: Thomas Laisné